CONSÉQUENCES PRATIQUEES. 447 de la vie privée. A Tancien groupement domestique se substitue alors le groupement territorial. Les individus qui occupent un même territoire se font à la longue, indépendamment de toute consanguinité, des idées et des mœurs qui leur sont communes, mais qui ne sont pas, au même degré, celles de leurs voisins plus éloignés. Il se constitue ainsi de petits agrégats qui n’ont pas d’autre base matérielle que le voisinage et les relations qui en résultent, mais dont chacun a sa physionomie distincte; c’est le village et, mieux encore, la cité avec ses dépendances. Sans doute, il leur arrive le plus généralement, de ne pas s’enfermer dans un isolement sauvage. Ils se confédèrent entre eux, se combinent sous des formes variées et forment ainsi des sociétés plus complexes, mais où ils n’entrent qu’en gardant leur per- sonnalité. Ils restent le segment élémentaire dont la société to- tale n’est que la reproduction agrandie. Mais, peu à peu, à mesure que ces confédérations <leviennent plus étroites, les cir- conscriptions territoriales se confondent les unes dans les autres et perdent leur ancienne individualité morale. D’une ville à l’autre, d’un district à l’autre les différences vont en dimi- nuant W, Le grand changement qu’a accompli la Révolution française a été précisément de porter ce nivellement à un point qui n’était pas connu jusqu’alors. Ce n’est pas qu’elle l’ait im- provisé ; il avait été longuement préparé par cette centralisation progressive à laquelle avait procédé l’ancien régime. Mais la suppression légale des anciennes provinces, la création de nou- velles divisions, purement artificielles et nominales, l’a consacré définitivement. Depuis, le développement des voies de commu- nication, en mélangeant les populations, a effacé presque jus- qu’aux dernières traces de l’ancien état de choses. Et comme, au mime moment, ce qui existait de l’organisation profession- nelle fut violemment détruit, tous les organes secondaires de la vie sociale se trouvèrent anéantis. Une seule force collective survécut à la tourmente : c’est l’ÉtaL (1) Bien entendu, nous ne pouvons indiquer que les principales étapes de cette évolution. Nous n’entendons pas dire que les sociétés modernes aient succédé à la cité ; nous laissons de coté les intermédiaires.
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