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nimé ou un objet artificiel ; mais c’est très généralement un animal. Dans certains cas, une portion restreinte de l’organisme, comme la tête, les pieds, le foie, remplit le même office[1].

Le nom de la chose sert aussi de nom à l’individu. C’est son nom personnel, son prénom qui s’ajoute au totem collectif, comme le prœnomen des Romains au nomen gentilicium. Le fait, il est vrai, ne nous est affirmé que d’un certain nombre de sociétés[2] ; mais il est probablement général. Nous montrerons, en effet, tout à l’heure, qu’il y a identité de nature entre la chose et l’individu ; or, l’identité de nature implique celle du nom. Conféré au cours de cérémonies religieuses tout particulièrement importantes, ce prénom possède un caractère sacré. On ne le prononce pas dans les circonstances ordinaires de la vie profane. Il arrive même que le mot de la langue usuelle qui sert à désigner la chose est plus ou moins modifié pour pouvoir servir à cet emploi particulier[3]. C’est que les termes de la langue usuelle sont exclus de la vie religieuse.

Au moins dans les tribus américaines, ce nom est doublé d’un emblème qui appartient à chaque individu et qui, sous des formes diverses, représente la chose que ce nom désigne. Chaque Mandan, par exemple, porte la peau de l’animal dont il est l’homonyme[4]. Si c’est un oiseau, on se pare de ses plumes[5]. Les Hurons, les Algonkins s’en

  1. Par exemple, chez les Hurons, les Iroquois, les Algonkins (Charlevoix, Histoire de la Nouvelle France, VI, p. 67-70 ; Sagard, Le grand voyage au pays des Hurons, p. 160), chez les Indiens Thompson (Teit, The Thompson Indians of British Columbia, p. 355).
  2. C’est le cas des Yuln (Howitt, Nat. Tr., p. 133) ; des Kurnai (ibid., p. 135) ; de plusieurs tribus du Queensland (Roth, Superstition, Magic and Medicine, North Queensland Ethnography, Bulletin n° 5, p. 19 ; Haddon, Head-hunters, p. 193) ; chez les Delaware (Heckewelder, An Account of the History... of the Indian Nations, p. 238) ; chez les Indiens Thompson (Teit, op. cit., p. 355) ; chez les Salish Statlumh (Hill Tout, Rep. of the Ethnol. of the Statlumh, J.A.I., XXXV, p. 147 et suiv.).
  3. Hill Tout, loc. cit., p. 154.
  4. Catlin, Manners and Customs, etc., Londres, 1876, I, p. 36.
  5. Lettres édifiantes et curieuses, nouv. éd., VI, p. 172 et suiv.