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seule et même force, appelée en Arunta Arungquiltha ou Arunkulta[1]. « C’est, disent Spencer et Gillen, un terme d’une signification un peu vague ; mais, à sa base, on trouve toujours l’idée d’un pouvoir surnaturel de nature mauvaise… Le mot s’applique indifféremment ou à la mauvaise influence qui se dégage d’un objet ou à l’objet même où elle réside à titre temporaire ou permanent[2]. » « Par arùnkulta, dit Strehlow, l’indigène entend une force qui suspend brusquement la vie et amène la mort de celui en qui elle s’est introduite[3]. » On donne ce nom aux ossements, aux pièces de bois d’où se dégagent des charmes malfaisants, aux poisons animaux ou végétaux. C’est donc, très exactement, un mana nocif. Grey signale dans les tribus qu’il a observées une notion tout à fait identique[4]. Ainsi, chez ces différents peuples, alors que les forces proprement religieuses ne parviennent pas à se défaire d’une certaine hétérogénéité, les forces magiques sont conçues comme étant toutes de même nature ; elles sont représentées aux esprits dans leur unité générique. C’est que, comme elles planent au-dessus de l’organisation sociale, au-dessus de ses divisions et de ses subdivisions, elles se meuvent dans un espace homogène et continu ou elles ne rencontrent rien qui les différencie. Les autres, au contraire, étant localisées dans des cadres sociaux définis et distincts, se diversifient et se particularisent à l’image des milieux où elles sont situées.

On voit par là combien la notion de force religieuse

  1. La première orthographe est celle de Spencer et Gillen ; la seconde, celle de Strehlow.
  2. Nat. Tr., p. 548, n. 1. Il est vrai que Spencer et Gillen ajoutent : « La meilleure manière de rendre l’idée serait de dire que l’objet arungquiltha est possédé par un mauvais esprit. » Mais cette libre traduction est une interprétation de Spencer et Gillen, que rien ne justifie. La notion de l’arungquiltha n’implique aucunement l’existence d’êtres spirituels. C’est ce qui résulte du contexte et de la définition de Strehlow.
  3. Die Aranda, etc., II, p. 76, note.
  4. Sous le nom de Boyl-ya (v. Brey, Journals of Two Expeditions of Discovery in N. W. and W. Australia, II, p. 337-338).