Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/299

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avancée : telles sont, par exemple, les religions du Mexique dont s’est beaucoup servi Preuss. On pouvait donc se demander si la théorie s’appliquait également aux religions les plus simples. Mais puisqu’on ne peut descendre plus bas que le totémisme, nous ne sommes pas exposés à ce risque d’erreur et, en même temps, nous avons des chances d’avoir trouvé la notion initiale dont les idées de wakan et de mana sont dérivées : c’est la notion du principe totémique[1].

IV

Mais cette notion n’est pas seulement d’une importance primordiale, à cause du rôle qu’elle a joué dans le développement des idées religieuses ; elle a aussi un aspect laïque par où elle intéresse l’histoire de la pensée scientifique. C’est la première forme de la notion de force.

Le wakan, en effet, joue dans le monde, tel que se le représentent les Sioux, le même rôle que les forces par lesquelles la science explique les divers phénomènes de la nature. Ce n’est pas qu’il soit pensé sous la forme d’une énergie exclusivement physique ; nous verrons, au contraire, dans le chapitre suivant que les éléments qui servent à en former l’idée sont pris aux règnes les plus différents. Mais cette nature composite lui permet précisément d’être utilisé comme un principe d’explication universelle. C’est de lui que vient toute vie[2] ; « toute vie est Wakan » ; et par ce mot de vie il faut entendre tout ce qui agit et réagit, tout ce qui meut ou est mû, aussi bien dans le

  1. V. sur la même question un article d’Alessandro Bruno, Sui fenomeni magico-religiosi delle communità primitive, in Rivista italiana di Sociologia, XIIe année, fasc. IV-V, p. 568 et suiv., et une communication, non publiée, faite par W. Bogoras au XIVe Congrès des Américanistes, tenu à Stuttgart en 1904. Cette communication est analysée par Preuss dans le Globus, LXXXVI, p. 201.
  2. « Toutes choses, dit Miss Fletcher, sont traversées par un principe commun de vie » (Smiths. Rep. f. 1897, p. 579).