Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/298

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emplois les plus variés[1]. Il est vrai que, si l’on s’en tenait à la lettre de la terminologie employée par cet auteur, on pourrait croire que ces forces sont pour lui de nature magique, et non religieuse : il les appelle des charmes (Zauber, Zauberkräfte). Mais il est visible qu’en s’exprimant ainsi il n’entend pas les mettre en dehors de la religion ; car c’est dans des rites essentiellement religieux qu’il les montre agissantes, par exemple dans les grandes cérémonies mexicaines[2]. S’il se sert de ces expressions, c’est, sans doute, à défaut d’autres qui marquent mieux l’impersonnalité de ces forces, et l’espèce de mécanisme suivant lequel elles opèrent.

Ainsi, de tous côtés, la même idée tend à se faire jour[3]. De plus en plus, on a l’impression que les constructions mythologiques, même les plus élémentaires, sont des produits secondaires[4] et recouvrent un fond de croyances, à la fois plus simples et plus obscures, plus vagues et plus essentielles, qui constituent les bases solides sur lesquelles les systèmes religieux se sont édifiés. C’est ce fond primitif que nous a permis d’atteindre l’analyse du totémisme. Les divers écrivains dont nous venons de rappeler les recherches n’étaient arrivés à cette conception qu’à travers des faits empruntés à des religions très diverses et dont quelques-unes même correspondent à une civilisation déjà fort

  1. Globus, LXXXVII, p. 381.
  2. Il les oppose nettement à toutes les influences de nature profane (Globus, LXXXVI, p. 379, a).
  3. On la retrouve même dans les récentes théories de Frazer. Car si ce savant refuse au totémisme tout caractère religieux pour en faire une sorte de magie, c’est justement parce que les forces que le culte totémique met en œuvre sont impersonnelles comme celles que manie le magicien. Frazer reconnaît donc le fait fondamental que nous venons d’établir. Seulement, il en tire une conclusion différente de la nôtre parce que, suivant lui, il n’y a religion que là où il y a personnalités mythiques.
  4. Toutefois, nous ne prenons pas ce mot dans le même sens que Preuss et Marrett. Suivant eux, il y aurait eu un moment déterminé de l’évolutíon religieuse où les hommes n’auraient connu ni âmes ni esprits, une phase préanimiste. L’hypothèse est des plus contestables : nous nous expliquons plus loin sur ce point (liv. I, chap. VIII et IX).