Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/324

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ne remplit pas cette condition, elle ne peut pas servir de point d’attache aux impressions ressenties, bien que ce soit elle qui les ait soulevées. C’est le signe alors qui prend sa place ; c’est sur lui qu’on reporte les émotions qu’elle suscite. C’est lui qui est aimé, craint, respecté ; c’est à lui qu’on est reconnaissant ; c’est à lui qu’on se sacrifie. Le soldat qui meurt pour son drapeau, meurt pour sa patrie ; mais en fait, dans sa conscience, c’est l’idée du drapeau qui est au premier plan. Il arrive même qu’elle détermine directement l’action. Qu’un étendard isolé reste ou non aux mains de l’ennemi, la patrie ne sera pas perdue pour cela, et pourtant le soldat se fait tuer pour le reprendre. On perd de vue que le drapeau n’est qu’un signe, qu’il n’a pas de valeur par lui-même, mais ne fait que rappeler la réalité qu’il représente ; on le traite comme s’il était lui-même cette réalité.

Or le totem est le drapeau du clan. Il est donc naturel que les impressions que le clan éveille dans les consciences individuelles — impressions de dépendance et de vitalité accrue — se rattachent beaucoup plus à l’idée du totem qu’à celle du clan : car le clan est une réalité trop complexe pour que des intelligences aussi rudimentaires puissent se le représenter nettement dans son unité concrète. D’ailleurs, le primitif ne voit même pas que ces impressions lui viennent de la collectivité. Il ne sait pas que le rapprochement d’un certain nombre d’hommes associés dans une même vie a pour effet de dégager des énergies nouvelles qui transforment chacun d’eux. Tout ce qu’il sent, c’est qu’il est soulevé au-dessus de lui-même et qu’il vit une vie différente de celle qu’il mène d’ordinaire. Cependant, il faut bien que ces sensations soient rapportées par lui à quelque objet extérieur comme à leur cause. Or, que voit-il autour de lui ? De toutes parts, ce qui s’offre à ses sens, ce qui frappe son attention, ce sont les multiples images du totem. C’est le waninga, le nurtunja, qui sont autant de symboles de l’être sacré. Ce sont les bull-roarers, les chu-