Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les mêmes idées se retrouvent dans les tribus indiennes de l’Amérique. Chez les Tlinkit, dit Krause, les âmes des trépassés passent pour revenir sur terre et pour s’introduire dans le corps des femmes enceintes de leur famille. « Quand donc une femme, pendant sa grossesse, rêve de quelque parent décédé, elle croit que l’âme de ce dernier a pénétré en elle. Si le nouveau-né présente quelque signe caractéristique qu’avait déjà le défunt, on considère qu’il est le défunt lui-même, revenu sur terre, et on lui donne le nom de ce dernier[1]. » Cette croyance est également générale chez les Haida. C’est la shamane qui révèle quel est le parent qui s’est réincarné dans l’enfant et, par conséquent, quel nom ce dernier doit porter[2]. Chez les Kwakiutl, on croit que le dernier mort revient à la vie dans la personne du premier enfant qui naît dans la famille[3]. Il en est de même chez les Hurons, les Iroquois, les Tinneh et dans beaucoup d’autres tribus des États-Unis[4].

La généralité de ces conceptions s’étend naturellement à la conclusion que nous en avons déduite, c’est-à-dire à l’explication que nous avons proposée de l’idée de l’âme. La portée générale en est, d’ailleurs, confirmée par les faits suivants.

Nous savons[5] que chaque individu recèle en lui quelque chose de la force anonyme qui est diffuse dans l’espèce sacrée ; il est, lui-même, membre de cette espèce. Mais ce n’est pas en tant qu’être empirique et sensible ; car, en dépit des dessins et des signes symboliques dont il décore son corps, il n’a, sous ce rapport, rien qui rappelle la

  1. Die Tlinkit-Indianer', p. 282.
  2. Swanton, Contributions to the Ethnology of the Haida, p. 117 et suiv.
  3. Boas , Sixth Rep. of the Committee on the North-Western Tribes of Canada, p. 59.
  4. Lafitau, Mœurs des sauvages américains, II, p. 434 ; Petitot, Monographie des Dénè-Dindjié, p. 59.
  5. V. plus haut, p. 190 et suiv.