Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/43

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gence[1] ». De même, Max Müller voyait dans toute religion « un effort pour concevoir l’inconcevable, pour exprimer l’inexprimable, une aspiration vers l’infini[2] ».

Il est certain que le sentiment du mystère n’est pas sans avoir joué un rôle important dans certaines religions, notamment dans le christianisme. Encore faut-il ajouter que l’importance de ce rôle a singulièrement varié aux différents moments de l’histoire chrétienne. Il est des périodes où cette notion passe au second plan et s’efface. Pour les hommes du xviie siècle, par exemple, le dogme n’avait rien de troublant pour la raison ; la foi se conciliait sans peine avec la science et la philosophie, et les penseurs qui, comme Pascal, sentaient vivement ce qu’il y a de profondément obscur dans les choses, étaient si peu en harmonie avec leur époque qu’ils sont restés incompris de leurs contemporains[3]. Il pourrait donc bien y avoir quelque précipitation à faire, d’une idée sujette à de telles éclipses, l’élément essentiel même de la seule religion chrétienne.

En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’elle n’apparaît que très tardivement dans l’histoire des religions ; elle est totalement étrangère non seulement aux peuples qu’on appelle primitifs mais encore à tous ceux qui n’ont pas atteint un certain degré de culture intellectuelle. Sans doute, quand nous les voyons attribuer à des objets insignifiants des vertus extraordinaires, peupler l’univers de principes singuliers, faits des éléments les plus disparates, doués d’une sorte d’ubiquité difficilement représentable, nous trouvons volontiers à ces conceptions un air de mystère. Il nous semble que les hommes n’ont pu se résigner à des idées aussi troublantes pour notre raison moderne

  1. Premiers principes, trad. fr., p. 38-39 (Paris, F. Alcan).
  2. Introduction à la science des religions, p. 17. Cf. Origine et développement de la religion, p, 21.
  3. Le même esprit se retrouve également à l’époque scolastique, comme en témoigne la formule par laquelle se définit la philosophie de cette période : Fides quaerens intellectum.