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tions et des différenciations qu’elle ne comporte pas naturellement[1]. Sans doute, il est à peu près impossible que la vie religieuse arrive jamais à se concentrer hermétiquement dans les milieux spatiaux et temporels qui lui sont ainsi attribués ; il est inévitable qu’il en filtre quelque peu au-dehors. Il y a toujours des choses sacrées en dehors des sanctuaires ; il y a des rites qui peuvent être célébrés les jours ouvrables. Mais ce sont des choses sacrées de rang secondaire et des rites de moindre importance. La concentration reste la caractéristique dominante de cette organisation. Même elle est généralement complète pour tout ce qui concerne le culte public, qui ne peut se célébrer qu’en commun. Le culte privé, individuel, est le seul qui vienne se mêler d’assez près à la vie temporelle. Aussi le contraste entre ces deux phases successives de la vie humaine atteint-il son maximum d’intensité dans les sociétés inférieures, telles que sont les tribus australiennes ; car c’est là que le culte individuel est le plus rudimentaire[2].

II

Jusqu’à présent, le culte négatif ne s’est présenté à nous que comme un système d’abstentions. Il semble donc ne pouvoir servir qu’à inhiber l’activité, non à la stimuler et à la tonifier. Et cependant, par un contre-coup inattendu de cet effet inhibitif, il se trouve exercer, sur la nature religieuse et morale de l’individu, une action positive de la plus haute importance.

En effet, en raison de la barrière qui sépare le sacré du profane, l’homme ne peut entrer en rapports intimes avec les choses sacrées qu’à condition de se dépouiller de ce qu’il y a de profane en lui. Il ne peut vivre d’une vie religieuse

  1. V. plus haut., p. 14.
  2. V. plus haut., p. 313.