Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un peu intense, que s’il commence par se retirer plus ou moins complètement de la vie temporelle. Le culte négatif est donc, en un sens, un moyen en vue d’un but : il est la condition d’accès du culte positif. Il ne se borne pas à protéger les êtres sacrés contre les contacts vulgaires ; il agit sur le fidèle lui-même dont il modifie positivement l’état. L’homme qui s’est soumis aux interdictions prescrites n’est pas après ce qu’il était avant. Avant, c’était un être du commun qui, pour cette raison, était tenu de rester à distance des forces religieuses. Après, il est davantage de plain-pied avec elles ; car il s’est rapproché du sacré par cela seul qu’il s’est éloigné du profane ; il s’est épuré et sanctifié par cela seul qu’il s’est détaché des choses basses et triviales qui alourdissaient sa nature. Les rites négatifs confèrent donc des pouvoirs efficaces tout comme les rites positifs ; les premiers, comme les seconds, peuvent servir à élever le tonus religieux des individus. Suivant une juste remarque qui a été faite, nul ne peut s’engager dans une cérémonie religieuse de quelque importance sans se soumettre à une sorte d’initiation préalable qui l’introduise progressivement dans le monde sacré[1]. On peut employer pour cela des onctions, des lustrations, des bénédictions, toutes opérations essentiellement positives ; mais on arrive au même résultat au moyen de jeûnes, de veilles, par la retraite et le silence, c’est-à-dire par des abstinences rituelles qui ne sont autre chose que la mise en pratique d’interdits déterminés.

Quand il ne s’agit que de rites négatifs particuliers et isolés, leur action positive est généralement trop peu marquée pour être aisément perceptible. Mais il y a des circonstances où un système complet d’interdits est concentré sur une seule tête ; dans ce cas, leurs effets s’accumulent et deviennent ainsi plus manifestes. C’est ce qui se produit, en Australie, lors de l’initiation. Le néophyte est astreint à

  1. V. Hubert et Mauss, Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, in Mélanges d’histoire des religions, p. 22 et suiv.