Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/52

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et qu’il n’a rien à faire avec eux », car leur pouvoir ne peut s’étendre que sur les biens de ce monde qui, pour lui, sont sans valeur. Il est donc athée en ce sens qu’il se désintéresse de la question de savoir s’il y a ou non des dieux. D’ailleurs, alors même qu’il y en aurait et de quelque puissance qu’ils fussent armés, le saint, le délivré, s’estime supérieur à eux ; car ce qui fait la dignité des êtres, ce n’est pas l’étendue de l’action qu’ils exercent sur les choses, c’est exclusivement le degré de leur avancement sur le chemin du salut[1].

Il est vrai que le Bouddha, au moins dans certaines des divisions de l’Église bouddhique, a fini par être considéré comme une sorte de dieu. Il a ses temples ; il est devenu l’objet d’un culte qui, d’ailleurs, est très simple, car il se réduit essentiellement à l’offrande de quelques fleurs et à l’adoration de reliques ou d’images consacrées. Ce n’est guère autre chose qu’un culte du souvenir. Mais d’abord, cette divinisation du Bouddha, à supposer que l’expression soit exacte, est particulière à ce qu’on a appelé le bouddhisme septentrional. « Les bouddhistes du Sud, dit Kern, et les moins avancés parmi les bouddhistes du Nord, on peut l’affirmer d’après les données aujourd’hui connues, parlent du fondateur de leur doctrine comme s’il était un homme[2] ». Sans doute, ils attribuent au Bouddha des pouvoirs extraordinaires, supérieurs à ceux que possède le commun des mortels ; mais c’était une croyance très ancienne dans l’Inde, et d’ailleurs très générale dans une multitude de religions diverses, qu’un grand saint est doué de vertus exceptionnelles[3] ; et cependant, un saint n’est pas un dieu, non plus qu’un prêtre ou qu’un magicien, en dépit

  1. Burnouf, op. cit. p. 117.
  2. Kern, op. cit., I, p. 289.
  3. « La croyance universellement admise dans l’Inde qu’une grande sainteté est nécessairement accompagnée de facultés surnaturelles, voilà le seul appui qu’il (Çâkya) devait trouver dans les esprits » (Burnouf, p. 119).