Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/51

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point de dieu dont l’homme dépende, dit M. Barth ; sa doctrine est absolument athée[1] », et M. Oldenberg, de son côté, l’appelle « une religion sans dieu[2] ». En effet, tout l’essentiel du bouddhisme tient dans quatre propositions que les fidèles appellent les quatre nobles vérités[3]. La première pose l’existence de la douleur comme liée au perpétuel écoulement des choses ; la seconde montre dans le désir la cause de la douleur ; la troisième fait de la suppression du désir le seul moyen de supprimer la douleur ; la quatrième énumère les trois étapes par lesquelles il faut passer pour parvenir à cette suppression : c’est la droiture, la méditation, enfin la sagesse, la pleine possession de la doctrine. Ces trois étapes traversées, on arrive au terme du chemin, à la délivrance, au salut par le Nirvâna.

Or, dans aucun de ces principes, il n’est question de divinité. Le bouddhiste ne se préoccupe pas de savoir d’où vient ce monde du devenir où il vit et où il souffre ; il le prend comme un fait[4] et tout son effort est de s’en évader. D’un autre côté, pour cette œuvre de salut, il ne peut compter que sur lui-même ; il « n’a aucun dieu à remercier, de même que, dans le combat, il n’en appelle aucun à son aide[5] ». Au lieu de prier, au sens usuel du mot, au lieu de se tourner vers un être supérieur et d’implorer son assistance, il se replie sur lui-même et il médite. Ce n’est pas à dire « qu’il nie de front l’existence d’êtres appelés Indra, Agni, Varuna[6] ; mais il estime qu’il ne leur doit rien

  1. Barth, The Religions of India, p. 110.
  2. Oldenberg, Le Bouddha, p. 51 (trad. fr., Paris, F. Alcan, puis P.U.F.)
  3. Oldenberg, ibid. p. 214, 318. Cf. Kern, Histoire du bouddhisme dans l’Inde, I, p. 389 et suiv.
  4. Oldenberg, p. 258 ; Barth, p. 110.
  5. Oldenberg, p. 314.
  6. Barth, p. 109. « J’ai la conviction intime, dit également Burnouf, que si Çâkya n’eût pas rencontré autour de lui un Panthéon tout peuplé des dieux dont j’ai donné les noms, il n’eût eu aucun besoin de l’inventer » (Introd. à l’hist. du bouddhisme indien, p. 119.)