Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/576

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mais les différences sont peut-être plus apparentes. Au lieu de danses joyeuses, de chants, de représentations dramatiques qui distraient et qui détendent les esprits, ce sont des pleurs, des gémissements, en un mot, les manifestations les plus variées de la tristesse angoissée et d’une sorte de pitié mutuelle, qui tiennent toute la scène. Sans doute, il y a également, au cours de l’Intichiuma, des effusions de sang ; mais ce sont des oblations faites dans un mouvement de pieux enthousiasme. Si les gestes se ressemblent, les sentiments qu’ils expriment sont différents et même opposés. De même, les rites ascétiques impliquent bien des privations, des abstinences, des mutilations, mais qui doivent être supportées avec une fermeté impassible et une sorte de sérénité. Ici, au contraire, l’abattement, les cris, les pleurs sont de règle. L’ascète se torture pour attester, à ses yeux et aux yeux de ses semblables, qu’il est au-dessus de la souffrance. Dans le deuil, on se fait du mal pour prouver que l’on souffre. On reconnaît à tous ces signes les traits caractéristiques des rites piaculaires.

Comment donc s’expliquent-ils ?

Un premier fait est constant : c’est que le deuil n’est pas l’expression spontanée d’émotions individuelles[1]. Si les parents pleurent, se lamentent, se meurtrissent, ce n’est pas qu’ils se sentent personnellement atteints par la mort de leur proche. Sans doute, il peut se faire, dans des cas particuliers, que le chagrin exprimé soit réellement ressenti[2]. Mais, le plus généralement, il n’y a aucun rapport entre les sentiments éprouvés et les gestes exécutés par les acteurs du rite[3]. Si, au moment même où les pleureurs paraissent le plus accablés par la douleur, on leur adresse la parole pour les entretenir de quelque intérêt temporel,

  1. Contrairement à ce que dit Jevons, Introd. to the History of Relig., p. 46 et suiv.
  2. C’est ce qui fait dire à Dawson que le deuil est sincèrement porté (p. 66). Mais Eylmann assure n’avoir connu qu’un seul cas où il y ait eu blessure par chagrin réellement ressenti (op. cit. p. 113.)
  3. Nat. Tr., p. 510.