Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/628

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imperfection ; c’est qu’il a besoin d’être rectifié. Le système de concepts avec lequel nous pensons dans la vie courante est celui qu’exprime le vocabulaire de notre langue maternelle ; car chaque mot traduit un concept. Or la langue est fixée ; elle ne change que très lentement et, par conséquent, il en est de même de l’organisation conceptuelle qu’elle exprime. Le savant se trouve dans la même situation vis-à-vis de la terminologie spéciale qu’emploie la science à laquelle il se consacre, et, par conséquent, vis-à-vis du système spécial de concepts auquel cette terminologie correspond. Sans doute, il peut innover, mais ses innovations sont toujours des sortes de violences faites à des manières de penser instituées.

En même temps qu’il est relativement immuable, le concept est, sinon universel, du moins universalisable. Un concept n’est pas mon concept ; il m’est commun avec d’autres hommes ou, en tout cas, il peut leur être communiqué. Il m’est impossible de faire passer une sensation de ma conscience dans la conscience d’autrui ; elle tient étroitement à mon organisme et à ma personnalité et elle n’en peut être détachée. Tout ce que je puis faire est d’inviter autrui à se mettre en face du même objet que moi et à s’ouvrir à son action. Au contraire, la conversation, le commerce intellectuel entre les hommes consiste dans un échange de concepts. Le concept est une représentation essentiellement impersonnelle : c’est par lui que les intelligences humaines communient[1].

La nature du concept, ainsi défini, dit ses origines. S’il est commun à tous, c’est qu’il est l’œuvre de la communauté. Puisqu’il ne porte l’empreinte d’aucune intelligence

  1. Cette universalité du concept ne doit pas être confondue avec sa généralité : ce sont choses très différentes. Ce que nous appelons universalité, c’est la propriété qu’a le concept d’être communiqué à une pluralité d’esprits, et même, en principe, à tous les esprits ; or cette communicabilité est tout à fait indépendante de son degré d’extension. Un concept qui ne s’applique qu’à un seul objet, dont l’extension, par suite, est minima, peut être universel en ce sens qu’il est le même pour tous les entendements : tel, le concept d’une divinité.