Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/643

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pourquoi elle seule peut fournir à l’esprit des cadres qui s’appliquent à la totalité des êtres et qui permettent de les penser. Ces cadres, elle ne les crée pas artificiellement ; elle les trouve en elle ; elle ne fait qu’en prendre conscience. Ils traduisent des manières d’être qui se rencontrent à tous les degrés du réel, mais qui n’apparaissent en pleine clarté qu’au sommet, parce que l’extrême complexité de la vie psychique qui s’y déroule nécessite un plus grand développement de la conscience. Attribuer à la pensée logique des origines sociales, ce n’est donc pas la rabaisser, en diminuer la valeur, la réduire à n’être qu’un système de combinaisons artificielles ; c’est, au contraire, la rapporter à une cause qui l’implique naturellement. Ce n’est pas à dire assurément que des notions élaborées de cette manière puissent se trouver immédiatement adéquates à leurs objets. Si la société est quelque chose d’universel par rapport à l’individu, elle ne laisse pas d’être elle-même une individualité qui a sa physionomie personnelle, son idiosyncrasie ; c’est un sujet particulier et qui, par suite, particularise ce qu’il pense. Les représentations collectives contiennent donc, elles aussi, des éléments subjectifs et il est nécessaire qu’elles soient progressivement épurées pour devenir plus proches des choses. Mais, si grossières qu’elles puissent être à l’origine, il reste qu’avec elles le germe d’une mentalité nouvelle était donné à laquelle l’individu n’aurait jamais pu s’élever par ses seules forces : dès lors, la voie était ouverte à la pensée stable, impersonnelle et organisée qui n’avait plus ensuite qu’à développer sa nature.

D’ailleurs, les causes qui ont déterminé ce développement semblent bien ne pas différer spécifiquement de celles qui en ont suscité le germe initial. Si la pensée logique tend de plus en plus à se débarrasser des éléments subjectifs et personnels qu’elle charrie encore à l’origine, ce n’est pas parce que des facteurs extra-sociaux sont intervenus ; c’est beaucoup plutôt parce qu’une vie sociale