Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/644

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d’un genre nouveau s’est de plus en plus développée. Il s’agit de cette vie internationale qui a déjà pour effet d’universaliser les croyances religieuses. À mesure qu’elle s’étend, l’horizon collectif s’élargit ; la société cesse d’apparaître comme le tout par excellence, pour devenir la partie d’un tout beaucoup plus vaste, aux frontières indéterminées et susceptibles de reculer indéfiniment. Par suite, les choses ne peuvent plus tenir dans les cadres sociaux où elles étaient primitivement classées ; elles demandent à être organisées d’après des principes qui leur soient propres et, ainsi, l’organisation logique se différencie de l’organisation sociale et devient autonome. Voilà, semble-t-il, comment le lien qui rattachait tout d’abord la pensée à des individualités collectives déterminées va de plus en plus en se détachant ; comment, par suite, elle devient toujours impersonnelle et s’universalise. La pensée vraiment et proprement humaine n’est pas une donnée primitive ; c’est un produit de l’histoire ; c’est une limite idéale dont nous nous rapprochons toujours davantage, mais que, selon toute vraisemblance, nous ne parviendrons jamais à atteindre.

Ainsi, bien loin qu’il y ait entre la science d’une part, la morale et la religion de l’autre, l’espèce d’antinomie qu’on a si souvent admise, ces différents modes de l’activité humaine dérivent, en réalité, d’une seule et même source. C’est ce qu’avait bien compris Kant, et c’est pourquoi il a fait de la raison spéculative et de la raison pratique deux aspects différents de la même faculté. Ce qui, suivant lui, fait leur unité, c’est qu’elles sont toutes deux orientées vers l’universel. Penser rationnellement, c’est penser suivant des lois qui s’imposent à l’universalité des êtres raisonnables ; agir moralement, c’est se conduire suivant des maximes qui puissent, sans contradictions, être étendues à l’universalité des volontés. En d’autres termes, la science et la morale impliquent que l’individu est capable de s’élever au-dessus de son point de vue propre et