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tisme) ; tantôt elle est dirigée par un corps de prêtres, tantôt elle est à peu près complètement dénuée de tout organe directeur attitré[1]. Mais partout où nous observons une vie religieuse, elle a pour substrat un groupe défini. Même les cultes dits privés, comme le culte domestique ou le culte corporatif, satisfont à cette condition ; car ils sont toujours célébrés par une collectivité, la famille ou la corporation. Et d’ailleurs, de même que ces religions particulières ne sont, le plus souvent, que des formes spéciales d’une religion plus générale qui embrasse la totalité de la vie[2], ces Églises restreintes ne sont, en réalité, que des chapelles dans une Église plus vaste et qui, en raison même de cette étendue, mérite davantage d’être appelée de ce nom[3].

Il en est tout autrement de la magie. Sans doute, les croyances magiques ne sont jamais sans quelque généralité ; elles sont le plus souvent diffuses dans de larges couches de population et il y a même bien des peuples où elles ne comptent pas moins de pratiquants que la religion proprement dite. Mais elles n’ont pas pour effet de lier les uns aux autres les hommes qui y adhèrent et de les unir en un même groupe, vivant d’une même vie. Il n’existe pas d’Église magique. Entre le magicien et les individus qui le consultent, comme entre ces individus eux-mêmes, il n’y a pas de liens durables qui en fassent les membres d’un même corps moral, comparable à celui que forment les

  1. Sans doute, il est rare que chaque cérémonie n’ait pas son directeur au moment où elle est célébrée ; même dans les sociétés les plus grossièrement organisées, il y a généralement des hommes que l’importance de leur rôle social désigne pour exercer une influence directrice sur la vie religieuse (par exemple, les chefs des groupes locaux dans certaines sociétés australiennes). Mais cette attribution de fonctions est encore très flottante.
  2. À Athènes, les dieux auxquels s’adresse le culte domestique ne sont que des formes spécialisées des dieux de la cité (Ζεύς κτί, σιος, Ζεύς έφρκεις). De même, au Moyen Âge, les patrons des confréries sont des saints du calendrier.
  3. Car le nom d’Église ne s’applique d’ordinaire qu’à un groupe dont les croyances communes se rapportent à un cercle de choses moins spéciales.