Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/71

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fidèles d’un même dieu, les observateurs d’un même culte. Le magicien a une clientèle, non une Église, et ses clients peuvent très bien n’avoir entre eux aucuns rapports, au point de s’ignorer les uns les autres ; même les relations qu’ils ont avec lui sont généralement accidentelles et passagères ; elles sont tout à fait semblables à celles d’un malade avec son médecin. Le caractère officiel et public dont il est parfois investi ne change rien à cette situation ; le fait qu’il fonctionne au grand jour ne l’unit pas d’une manière plus régulière et plus durable à ceux qui recourent à ses services.

Il est vrai que, dans certains cas, les magiciens forment entre eux des sociétés : il arrive qu’ils se réunissent plus ou moins périodiquement pour célébrer en commun certains rites ; on sait quelle place tiennent les assemblées de sorcières dans le folklore européen. Mais tout d’abord, on remarquera que ces associations ne sont nullement indispensables au fonctionnement de la magie ; elles sont même rares et assez exceptionnelles. Le magicien n’a nullement besoin, pour pratiquer son art, de s’unir à ses confrères. C’est plutôt un isolé ; en général, loin de chercher la société, il la fuit. « Même à l’égard de ses collègues, il garde toujours son quant à soi[1] ». Au contraire, la religion est inséparable de l’idée d’Église. Sous ce premier rapport, il y a déjà entre la magie et la religion une différence essentielle. De plus et surtout, ces sortes de sociétés magiques, quand elles se forment, ne comprennent jamais, il s’en faut, tous les adhérents de la magie, mais les seuls magiciens ; les laïcs, si l’on peut s’exprimer ainsi, c’est-à-dire ceux au profit de qui les rites sont célébrés, ceux, en définitive, qui représentent les fidèles des cultes réguliers, en sont exclus. Or le magicien est à la magie ce que le prêtre est à la religion, et un collège de prêtres n’est pas une Église, non plus qu’une congrégation religieuse qui

  1. Hubert et Mauss, Loc. cit., p. 18.