Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/74

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Restent les aspirations contemporaines vers une religion qui consisterait tout entière en états intérieurs et subjectifs et qui serait librement construite par chacun de nous. Mais si réelles qu’elles soient, elles ne sauraient affecter notre définition ; car celle-ci ne peut s’appliquer qu’à des faits acquis et réalisés, non à d’incertaines virtualités. On peut définir les religions telles qu’elles sont ou telles qu’elles ont été, non telles qu’elles tendent plus ou moins vaguement à être. Il est possible que cet individualisme religieux soit appelé à passer dans les faits ; mais pour pouvoir dire dans quelle mesure, il faudrait déjà savoir ce qu’est la religion, de quels éléments elle est faite, de quelles causes elle résulte, quelle fonction elle remplit ; toutes questions dont on ne peut préjuger la solution, tant qu’on n’a pas dépassé le seuil de la recherche. C’est seulement au terme de cette étude que nous pourrons tâcher d’anticiper l’avenir.

Nous arrivons donc à la définition suivante : Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. Le second élément qui prend ainsi place dans notre définition n’est pas moins essentiel que le premier ; car, en montrant que l’idée de religion est inséparable de l’idée d’Église, il fait pressentir que la religion doit être une chose éminemment collective[1].

    bien si, au contraire, la seconde ne serait pas le prolongement de la première à l’intérieur des consciences individuelles. Le problème sera directement abordé plus loin (liv. II, chap. V, § II. Cf. même livre, chap. VI et VII, § 1). Pour l’instant nous nous bornons à remarquer que le culte individuel se présente à l’observateur comme un élément et une dépendance du culte collectif.

  1. C’est par là que notre définition présente rejoint celle que nous avons proposée jadis dans l’Année sociologique. Dans ce dernier travail, nous définissions exclusivement les croyances religieuses par leur caractère obligatoire ; mais cette obligation vient évidemment, et nous le montrions, de ce que ces croyances sont la chose d’un groupe qui les