Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/122

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ment variables, mais ces variations ne sont pas de telle nature qu’elles n’offrent aucune prise à la pensée scientifique.

C’est pour avoir méconnu l’existence d’espèces sociales que Comte a cru pouvoir représenter le progrès des sociétés humaines comme identique à celui d’un peuple unique « auquel seraient idéalement rapportées toutes les modifications consécutives observées chez les populations distinctes[1] ». C’est qu’en effet, s’il n’existe qu’une seule espèce sociale, les sociétés particulières ne peuvent différer entre elles qu’en degrés, suivant qu’elles présentent plus ou moins complètement les traits constitutifs de cette espèce unique, suivant qu’elles expriment plus ou moins parfaitement l’humanité. Si, au contraire, il existe des types sociaux qualitativement distincts les uns des autres, on aura beau les rapprocher, on ne pourra pas faire qu’ils se rejoignent exactement comme les sections homogènes d’une droite géométrique. Le développement historique perd ainsi l’unité idéale et simpliste qu’on lui attribuait ; il se fragmente, pour ainsi dire, en une multitude de tronçons qui, parce qu’ils diffèrent spécifiquement les uns des autres, ne sauraient se relier d’une manière continue. La fameuse métaphore de Pascal, reprise depuis par Comte, se trouve désormais sans vérité.

Mais comment faut-il s’y prendre pour constituer ces espèces ?

  1. Cours de philos. pos., IV, 263.