Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/123

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I


Il peut sembler, au premier abord, qu’il n’y ait pas d’autre manière de procéder que d’étudier chaque société en particulier, d’en faire une monographie aussi exacte et aussi complète que possible, puis de comparer toutes ces monographies entre elles, de voir par où elles concordent et par où elles divergent, et alors, suivant l’importance relative de ces similitudes et de ces divergences, de classer les peuples dans des groupes semblables ou différents. À l’appui de cette méthode, on fait remarquer qu’elle seule est recevable dans une science d’observation. L’espèce, en effet, n’est que le résumé des individus ; comment donc la constituer, si l’on ne commence pas par décrire chacun d’eux et par le décrire tout entier ? N’est-ce pas une règle de ne s’élever au général qu’après avoir observé le particulier et tout le particulier ? C’est pour cette raison que l’on a voulu parfois ajourner la sociologie jusqu’à l’époque indéfiniment éloignée où l’histoire, dans l’étude qu’elle fait des sociétés particulières, sera parvenue à des résultats assez objectifs et définis pour pouvoir être utilement comparés.

Mais, en réalité, cette circonspection n’a de scientifique que l’apparence. Il est inexact, en effet, que la science ne puisse instituer de lois qu’après avoir passé en revue tous les faits qu’elles expriment, ni former de genres qu’après avoir décrit, dans leur intégralité, les individus qu’ils comprennent, La vraie méthode expérimentale tend plutôt à substituer aux