Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette organisation, qui a pour objet de le gêner et de le contenir, ne peut être conçue que comme artificielle. Elle n’est pas fondée dans la nature, puisqu’elle est destinée à lui faire violence en l’empêchant de produire ses conséquences anti-sociales. C’est une œuvre d’art, une machine construite tout entière de la main des hommes et qui, comme tous les produits de ce genre, n’est ce qu’elle est que parce que les hommes l’ont voulue telle ; un décret de la volonté l’a créée, un autre décret la peut transformer. Ni Hobbes ni Rousseau ne paraissent avoir aperçu tout ce qu’il y a de contradictoire à admettre que l’individu soit lui-même l’auteur d’une machine qui a pour rôle essentiel de le dominer et de le contraindre, ou du moins, il leur a paru que, pour faire disparaître cette contradiction, il suffisait de la dissimuler aux yeux de ceux qui en sont les victimes par l’habile artifice du pacte social.

C’est de l’idée contraire que se sont inspirés et les théoriciens du droit naturel et les économistes et, plus récemment, M. Spencer[1]. Pour eux, la vie sociale est essentiellement spontanée et la société une chose naturelle. Mais, s’ils lui confèrent ce caractère, ce n’est pas qu’ils lui reconnaissent une nature spécifique ; c’est qu’ils lui trouvent une base dans la nature de l’individu. Pas plus que les précédents penseurs, ils n’y voient un système de choses qui existe par soi-même, en vertu de causes qui lui sont spéciales. Mais, tandis que ceux-là ne la concevaient que comme un arrangement conventionnel qu’aucun

  1. La position de Comte sur ce sujet est d’un éclectisme assez ambigu.