Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/190

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faire le centre de gravité de ses recherches, il ne les utilisera en général que comme complément de ceux qu’il doit à l’histoire ou, tout au moins, il s’efforcera de les confirmer par ces derniers. Non seulement il circonscrira ainsi, avec plus de discernement, l’étendue de ses comparaisons, mais il les conduira avec plus de critique ; car, par cela même qu’il s’attachera à un ordre restreint de faits, il pourra les contrôler avec plus de soin. Sans doute, il n’a pas à refaire l’œuvre des historiens ; mais il ne peut pas non plus recevoir passivement et de toutes mains les informations dont il se sert.

Mais il ne faut pas croire que la sociologie soit dans un état de sensible infériorité vis-à-vis des autres sciences parce qu’elle ne peut guère se servir que d’un seul procédé expérimental. Cet inconvénient est, en effet, compensé par la richesse des variations qui s’offrent spontanément aux comparaisons du sociologue et dont on ne trouve aucun exemple dans les autres règnes de la nature. Les changements qui ont lieu dans un organisme au cours d’une existence individuelle sont peu nombreux et très restreints ; ceux qu’on peut provoquer artificiellement sans détruire la vie sont eux-mêmes compris dans d’étroites limites. Il est vrai qu’il s’en est produit de plus importants dans la suite de l’évolution zoologique, mais ils n’ont laissé d’eux-mêmes que de rares et obscurs vestiges, et il est encore plus difficile de retrouver les conditions qui les ont déterminés. Au contraire, la vie sociale est une suite ininterrompue de transformations, parallèles à d’autres transformations dans les conditions de l’existence collective ; et nous n’avons pas seulement à notre disposition