Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/21

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formelles qui lui sont propres. S’il en est ainsi, on doit a fortiori s’attendre à ce que les lois correspondantes de la pensée sociale soient spécifiques comme cette pensée elle-même. En fait, pour peu qu’on ait pratiqué cet ordre de faits, il est difficile de ne pas avoir le sentiment de cette spécificité. N’est-ce pas elle, en effet, qui nous fait paraître si étrange la manière si spéciale dont les conceptions religieuses (qui sont collectives au premier chef) se mêlent ou se séparent, se transforment les unes dans les autres, donnant naissance à des composés contradictoires qui contrastent avec les produits ordinaires de notre pensée privée. Si donc, comme il est présumable, certaines lois de la mentalité sociale rappellent effectivement certaines de celles qu’établissent les psychologues, ce n’est pas que les premières soient un simple cas particulier des secondes ; mais c’est qu’entre les unes et les autres, à côté de différences certainement importantes, il y a des similitudes que l’abstraction pourra dégager, et qui d’ailleurs, sont encore ignorées. C’est dire qu’en aucun cas la sociologie ne saurait emprunter purement et simplement à la psychologie telle ou telle de ses propositions, pour l’appliquer telle quelle aux faits sociaux. Mais la pensée collective tout entière, dans sa forme comme dans sa matière, doit être étudiée en elle-même, pour elle-même, avec le sentiment de ce qu’elle a de spécial, et il faut laisser à l’avenir le soin de rechercher dans quelle mesure elle ressemble à la pensée des particuliers. C’est même là un problème qui ressortit plutôt à la philosophie générale et à la logique abstraite qu’à l’étude scientifique des faits sociaux[1].


III

Il nous reste à dire quelques mots de la définition que nous avons donnée des faits sociaux dans notre premier

  1. Il est inutile de montrer comment, de ce point de vue, la nécessité d’étudier les faits du dehors apparaît plus évidente encore, puisqu’ils résultent de synthèses qui ont lieu hors de nous et dont nous n’avons même pas la perception confuse que la conscience peut nous donner des phénomènes intérieurs.