Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/76

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des peines régulières, mais seulement certains d’entre eux, à savoir ceux qui offensent la partie moyenne et immuable du sens moral. Quant aux sentiments moraux qui ont disparu dans la suite de l’évolution, ils ne lui paraissent pas fondés dans la nature des choses pour cette raison qu’ils n’ont pas réussi à se maintenir ; par suite, les actes qui ont été réputés criminels parce qu’ils les violaient, lui semblent n’avoir dû cette dénomination qu’à des circonstances accidentelles et plus ou moins pathologiques. Mais c’est en vertu d’une conception toute personnelle de la moralité qu’il procède à cette élimination. Il part de cette idée que l’évolution morale, prise à sa source même ou dans les environs, roule toute sorte de scories et d’impuretés qu’elle élimine ensuite progressivement, et qu’aujourd’hui seulement elle est parvenue à se débarrasser de tous les éléments adventices qui, primitivement, en troublaient le cours. Mais ce principe n’est ni un axiome évident, ni une vérité démontrée ; ce n’est qu’une hypothèse, que rien même ne justifie. Les parties variables du sens moral ne sont pas moins fondées dans la nature des choses que les parties immuables ; les variations par lesquelles ont passé les premières témoignent seulement que les choses elles-mêmes ont varié. En zoologie, les formes spéciales aux espèces inférieures ne sont pas regardées comme moins naturelles que celles qui se répètent à tous les degrés de l’échelle animale. De même, les actes taxés crimes par les sociétés primitives, et qui ont perdu cette qualification, sont réellement criminels par rapport à ces sociétés, tout comme ceux que nous continuons à réprimer aujourd’hui. Les premiers correspondent aux conditions chan-