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amour vainqueur

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sonnes s’étaient reconnues : les eaux du lac Témiscamingue les avaient bercés jadis, et la destinée les faisait rencontrer dans une circonstance aussi tragique, après que tant de démarches faites par l’un et l’autre, avaient toujours été infructueuses ; ce que la volonté réciproque n’avait pu leur procurer, la destinée le leur rendit. Rogers que la maladie avait forcé de quitter le Séminaire était devenu avocat ; c’est lui qui alors libérait son amie des mains de ces scélérats et qui sauvait la vie à celle qu’il avait tant aimée et avec qui, il avait passé cette soirée, où il lui avait été donnée de goûter pour la première fois, les douceurs, de baisers d’une jeune fille qui n’en avait jamais reçus !

Cette scène du Lac Témiscamingue lui rappelait un souvenir qui le faisait pleurer de joie et en même temps traçait dans cette âme de débutant dans la vie réelle, des impressions si profondes qu’elles furent pour lui, dans toute sa vie depuis, une source de considérations parmi lesquelles une absolue résignation en la volonté de Dieu.

Lui, l’appelait Ninie ! Elle l’appelait Rogers !

Tous ses souvenirs de jeunesse se présentaient à son esprit, quand il reconnut la jeune fille qui était suspendue à son cou et qui l’appelait son Sauveur, avec Alfred de Musset il pouvait se dire :


Un soir, nous étions seuls, j’étais assis près d’elle ;
Elle penchait la tête et sur son clavecin
Laissait, tout en rêvant, flotter sa blanche main.
Ce n’était qu’un murmure : on eût dit les coups d’aile
D’un zéphir éloigné, glissant sur des roseaux,
Et craignent en passant, d’éveiller les oiseaux.
Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques
Sortaient autour de nous, du calice des fleurs.
Les marronniers du parc et les chênes antiques
Se berçaient doucement sous leurs rameaux en pleurs.
Nous écoutions la nuit ; la croisée entr’ouverte
Laissait venir à nous, les parfums du printemps ;
Les vents étaient muets, la plaine était déserte :
Nous étions seuls, pensifs, et nous avions quinze ans.
Je regardais Lucie. — Elle était pâle et blonde.
Jamais deux yeux plus doux n’ont du ciel le plus pur,
Sondé la profondeur et réfléchi l’azur.
Sa beauté m’enivrait : je n’aimais qu’elle au monde.
Mais je croyais l’aimer comme on aime une sœur,
Tant ce qui venait d’elle, était plein de pudeur !
Nous nous tûmes longtemps ; ma main touchait la sienne,