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Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/119

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LES DEUX TESTAMENTS

et je compte bien me reposer toute la journée, car nous ne sommes pas obligés de partir avant demain.

Marie Louise dût se contenter de cette explication, assez plausible, du reste.

Cependant, elle trouvait que son père avait l’air triste et découragé aussi bien que fatigué et malade, et elle ne s’expliquait pas pourquoi il avait l’air si contraint en parlant de sa mère.

Mais malgré son amour pour son père, elle oublia bientôt ces préoccupations pour se livrer à d’autres pensées ; des pensées douces et cruelles en même temps, qui la reportaient vers New York, où était resté celui qu’elle avait appris à aimer, peut-être plus que son père, bien que d’une façon différente.

Pendant que M. Bernier qui s’était retiré dans sa chambre, reposait, (elle le croyait du moins) elle laissait sa pensée errer, loin, bien loin.

Elle retraçait dans son esprit chaque journée de son séjour à New York, et chacune de ces journées était marquée par le souvenir de quelque conversation avec Joe Allard, ou d’un regard tendre et expressif, d’une fleur donnée ou reçue et de bien d’autres circonstances, insignifiantes en apparence, mais néanmoins remplies d’importance pour la jeune fille dans le cœur de laquelle l’amour commençait à régner en maître.

Pendant ce temps, Edmond Bernier était plongé dans un sommeil lourd et pénible, troublé par des rêves terribles.

Il se voyait encore au cimetière. La lune blanche versait sa clarté sur les pierres tumulaires.

Tout à coup, sortant de leurs tombes entr’ouvertes, il voyait venir à lui, tantôt sa belle mère, tantôt sa première femme, tantôt Xavier LeClerc, pâles et décharnés, qui tendaient vers lui leurs longs doigts de squelettes en l’accusant et en le menaçant.

Alors il se réveillait en sursaut.

Mais accablé par la fatigue et la fièvre il se rendormait bientôt et les rêves terribles recommençaient.

Ce fut ainsi qu’il passa une partie de la journée.

Enfin il se leva, vers le soir, et se rendit auprès de sa fille qui lui trouva l’air plus abattu qu’avant son repos.

— Décidemment. vous êtes malade, papa, dit-elle en le caressant doucement. Il faudra vous soigner quand nous serons de retour chez nous.

Sur la demande de son père, elle lui raconta son voyage dans tous les détails, lui parla des gens avec