Aller au contenu

Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE XIII

Le lendemain matin, pendant que les dames étaient allées faire quelques emplettes à Québec, et que M. Prévost fumait son éternelle pipe dans le jardin, M. Bernier aborda Joe et commença à lui parler dans ces termes.

— Hier après midi, dit il, ma femme m’a parlé d’un projet d’union entre vous et ma fille.

Joe inclina la tête pour toute réponse, en se demandant où il avait déjà vu des yeux d’un gris-pierre, et à l’expression dure et gênante, comme ceux qui le fixaient en ce moment.

— Ma femme semblait croire que du moment que vous aimiez Marie-Louise et que celle ci vous aimait en retour il n’y avait plus d’autre chose à faire qu’à publier les bans et à vous donner notre bénédiction.

— Eh bien, monsieur, demanda Joe avec impatience, car il se sentait froissé du ton, moitié protecteur, moitié insolent, qu’affectait le père de Marie-Louise. Où voulez-vous en venir, je vous en prie ?

— Vous allez le voir bientôt jeune homme. Mais auparavant, je vous prie de me dire si ma femme a pris un engagement sérieux avec vous à ce sujet.

— Non, monsieur, Mde Bernier m’a seulement assuré de son approbation, et m’a promis son appui auprès de vous.

— Ah ! tant mieux alors ! Voyez-vous, jeune homme, les femmes n’entendent rien aux affaires dont elles feraient mieux de ne jamais se mêler.

Bien que déconcerté et découragé un peu par ce début de mauvaise augure, une pensée, étrangère au sujet de la conversation prédominait en ce moment dans l’esprit de Joe. Il se demandait.

— Où donc, ai-je déjà vu cet homme, pourtant ? Ce front bas et étroit, ces yeux gris-pierre, ce nez un peu gros, ces lèvres minces, enfin tout cet ensemble de physionomie me semble étrangement familier, tout autant que le son de cette voix, et cette façon de parler à la fois polie, suave, et pourtant insolente, par moment. Vraiment sa