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Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/67

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LES DEUX TESTAMENTS

place à table, il étouffa un long soupir. Mais cela était peut-être dû à la satisfaction qu’il éprouvait de se voir rendu enfin chez lui après les fatigues de la journée.

Quelques temps après son mariage avec Maria Renaud, Edmond Bernier, ayant vendu avantageusement les propriétés sur le chemin Papineau, était venu s’établir à Beauport.

Ne se trouvant pas encore assez riche pour vivre de ses rentes, il s’était mis en compagnie avec un tanneur de Québec et il avait fait de bonnes affaires pendant quinze ans, après quoi, se sentant devenir vieux, il s’était retiré pour jouir paisiblement du fruit de son travail dans sa gracieuse et confortable maison de Beauport.

On le comptait parmi les hommes les plus riches et les plus heureux du village, et il était estimé et adulé, en conséquence.

À la vérité, tout avait semblé marcher au gré de ses désirs, depuis son mariage. Mais une chose surtout avait mis le comble à son bonheur, bien qu’il eût affecté de la considérer comme un malheur dans le moment.

C’était la disparition de son neveu, Joseph Allard, qui s’était enfui de l’école, deux ans après le mariage de Bernier, et que l’on n’avait jamais retrouvé.

L’oncle avait d’abord fait grand bruit sur l’affaire, ne parlant que des recherches qu’il faisait faire pendant quelques temps, mais ces recherches vraies ou prétendues, n’avaient abouti à rien et le bon oncle dut se résigner à la perte de son neveu.

Mais une pensée dut contribuer à le consoler beaucoup.

Il y avait plusieurs mois qu’il avait retiré les dix milles piastres du Petit, de la banque de Montréal, sous prétexte de les placer plus avantageusement, mais à la vérité, pour l’aider à s’établir à Beauport et à entrer en affaire avec le tanneur dont nous avons parlé.

L’enfant étant disparu, il n’avait plus à craindre l’époque où il pourrait avoir à rendre compte de la manière dont il avait disposé de son héritage, d’autant plus que cette part devait lui revenir dans le cas de la mort de l’enfant.

Il se trouvait donc maintenant en possession de l’héritage entier de la veuve Champagne et à l’abri de toute poursuite. Il ne lui manquait qu’une chose pour le rendre parfaitement heureux. C’était l’amour de sa femme, mais selon sa coutume, il ne désespérait pas.

Au contraire, il redoublait d’attention et de prévenances, et se montrait le plus aimable et le plus