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SOUVENIRS


le caractère particulier de sa démarche, de son maintien, de sa tournure. Telle autre encore a su se faire une réputation de « femme séduisante », uniquement à cause de sa manière originale de se coiffer, ou des soins qu’elle met à choisir ses chaussures. Quelquefois, une femme qui n’a ni qualité ni beauté suffisante pour attirer l’attention sur elle, trouve moyen de réussir par un défaut corporel[1]. Ceci est le comble de l’art féminin. Quand la femme dont je parle est intelligente, elle se hâte de transformer ce défaut en qualité. C’est en l’exagérant qu’elle y parvient.

« Telle femme réussira donc par un léger accent étranger, auquel elle aura donné quelque chose de musical. Telle autre a les hanches trop fortes, le corsage trop accentué : elle en fait une séduction par la manière de se vêtir, de se tenir et de marcher. Certaines femmes qui ont ce défaut de vision qu’on appelle le « regard incertain » ont pu faire des passions, grâce à cette excentricité de leurs yeux. Le monde est si gâté, si blasé, il aime tant l’imprévu, l’inattendu, le bizarre, quelquefois même l’inouï, le baroque, le fantasque, qu’il finit par trouver piquante l’expression de deux yeux ne marchant pas ensemble. »

Toute la lettre était sur le même ton.

J’ai eu le bon esprit de la conserver. Si je ne la

  1. Variante, ligne 9, au lieu de corporel ; lire : original.