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D’UNE COCODETTE


à mordre tout ce qui se présente sur son passage. Ainsi, il avait bien réellement exposé sa vie pour conserver la mienne.

N’ayant pas d’armes pour se défendre, il n’aurait eu qu’à laisser passer le chien, qui ne voyait que moi et n’en voulait qu’à moi, pour préserver ses jours.

Cet horrible accident fit plus pour rapprocher mon cœur de celui d’Alfred que n’auraient pu faire des années de la cour la plus assidue. Mon cher cousin s’était si noblement dévoué, en toute connaissance de cause, pendant que les deux hommes à qui j’appartenais s’esquivaient prudemment, que, rien qu’en y pensant, je sentais des larmes de reconnaissance me monter aux yeux. À partir de ce jour, je ne crus même pas devoir me gêner pour lui montrer l’affection que je ressentais pour lui. C’était moi seule qui lui donnais tous les soins que nécessitait son état, préparais ses tisanes, les lui faisais boire en soutenant sur mon bras sa tête charmante. Dès qu’il put se lever, en portant son bras en écharpe, à cause des morsures et des brûlures, qui n’étaient qu’imparfaitement cicatrisées, ce fut encore moi qui lui fis faire autour du château ses premières promenades. Nous ne parlions jamais que de nous-mêmes. Nous nous réfugiions tout entiers dans les régions les plus vagues et les plus élevées du sentiment.

Je ne saurais exprimer très exactement la na-

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