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D’UNE COCODETTE


de sa fortune patrimoniale, qui était considérable, dans l’unique but de contribuer à l’affranchissement de son pays. Exilé pour ses convictions politiques, il était devenu Français par reconnaissance de l’hospitalité qu’il avait reçue à Paris, mais il ne cessa jamais de porter à sa terre natale, et surtout à la ville de Florence, berceau de sa famille, une religieuse affection. Je ne finirais pas si je me laissais aller au plaisir de parler plus longtemps de mon père.

J’abrège donc. Quoique nos revenus ne nous permissent pas de faire grande figure et de recevoir d’autres personnes que quelques intimes, notre maison passait, avec raison, grâce à l’esprit de mon père et à l’amabilité de ma mère, pour l’une des plus agréables de Paris. Toute ma vie, je me rappellerai, avec un indicible plaisir, nos dîners de famille auxquels il était rare que ne fussent pas conviés quelques-uns des étrangers de distinction qui étaient de passage à Paris. La table était la grande dépense de mon père. Il était gourmet, sensuel, et il en convenait avec une bonne humeur charmante. C’était toujours à table qu’il savait le mieux faire briller tous ses avantages. Alors, quand nulle contrariété ne le préoccupait, que son esprit méridional et voltairien était légèrement excité par le vin du midi, qu’il voyait alignées autour de lui les têtes joyeuses de sa petite famille, sûr de la bienveillance de son