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Page:E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/40

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SOUVENIRS


auditoire, lequel ne demandait qu’à s’amuser et à l’applaudir, il se laissait aller au plaisir de conter, et personne, mieux que lui, ne sut jamais tenir les oreilles sous le charme de sa parole.

Malheureusement, par moments, mon excellent père oubliait qu’il parlait devant ses cinq enfants, deux garçons et trois filles, dont l’une — c’était moi — commençait à grandir et avait l’esprit ouvert à toutes les curiosités. Entraîné malgré lui par l’amusement de conter, cher aux professeurs, le savant laissait échapper des choses que nous ne comprenions guère, et qui nous scandalisaient d’instinct, mes sœurs et moi, et qui mettaient notre mère au supplice.

Une des particularités qui contribuaient le plus à me faire chérir mon père, après son excessive bienveillance, c’est qu’il y avait entre lui et moi une foule de points de ressemblance et de contact. J’étais vraiment sa fille au physique et au moral. Cet homme de très grande taille, élégant de manières, aux traits doux, aux cheveux noirs, toujours soigneusement rasé, recherché dans sa mise, avec son air affable et spirituel, m’inspirait un orgueil mêlé de respect. Il avait voulu diriger lui-même les débuts de mon instruction, mais il s’y prenait mal, me faisant lire des livres auxquels il m’était impossible de rien comprendre. Il avait une préférence marquée pour moi. Mes deux sœurs en étaient jalouses ; et mon institu-