Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
3
LIVRE I.

lecteur ! et tu me croiras, si je te jure que le choix n’a pas été purement volontaire, mais qu’il m’a été imposé par le héros lui-même. Car il faut que tu saches que, depuis mes jeunes années, ce personnage n’a cessé de me hanter dans mes rêves, de m’obséder à mon réveil, comme s’il dépendait de moi de lui rendre une seconde fois la vie. Je te répète qu’il a frappé sans relâche à ma porte, comme un revenant que j’aurais la puissance de ramener à la lumière du jour ; et par ses plaintes, ses gémissements, il me priait de le rappeler au souvenir de la terre oublieuse, me promettant qu’en retour il ferait passer devant moi, sans que j’en fusse accablé, le lent cortége des mauvais jours. Il s’est engagé à diminuer pour moi les soucis du présent, si je consentais à réveiller pour lui la magie du passé dans sa gloire.

J’ai obéi.

Son nom, ses parents, sa généalogie, s’il fut noble ou roturier, voilà ce que je devrais commencer par te dire. C’est la première règle, je ne l’ignore pas. Mais une fausse honte me retient, car tu es le grand esclave des mots ; je crains que, sur le nom seul, tu ne te formes une idée fausse de mon entreprise et ne me quittes, sans vouloir rien entendre. Au contraire, quand la suite des choses amènera le personnage en scène, l’occasion sera passée de le discuter ; il sera devenu un fait accompli. Tu l’accepteras comme tel, avec ta docilité ordinaire. C’est là ce que l’expérience m’a enseigné, quoique la rhétorique le démente.

Maintenant, sans délibérer, aide-moi à te transporter