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MERLIN L’ENCHANTEUR.

d’un gouffre. Vient-il pour appeler l’un de nous à la vie et pour nous séparer ? »

En même temps elles tremblaient ; chacune d’elles devenait plus pâle à mesure que Merlin s’approchait.

Il s’adressa à la jeune âme de vierge qui était plus éperdue encore que son compagnon ; il lui dit :

« Pourquoi as-tu peur ? »

L’âme amoureuse lui répondit :

« L’amour éternel nous tient ici embrassés au-dessus des orages ; il en est ainsi depuis que nous habitons ces lieux. Je tremble maintenant de rester oubliée dans ces demeures, pendant que tu appelleras à la lumière des vivants celui que je ne sais encore comment nommer. J’ai peur de rester seule ici, perdue, égarée, sans mon compagnon. Dis-moi si tu viens le chercher pour le conduire sans moi, avant moi, là où nous désirons habiter ensemble. Après nous être fiancés dans les limbes, serons-nous désunis, par le temps, sur la terre ? Ne verrons-nous pas ensemble la lumière du jour, ou bien la verra-t-il sans moi, pendant que je resterai emprisonnée dans ces lieux, avec ceux qui n’ont jamais vécu ?

— Console-toi, âme amoureuse, répondit Merlin ; vous ne serez point désunis. Le même temps vous sera accordé à tous deux pour parcourir la vie. Ensemble vous verrez le même printemps, les mêmes jours, les mêmes années, les mêmes soleils. Ensemble vous goûterez la rapide jeunesse ; ensemble vous cueillerez les mêmes fleurs, ensemble vous les verrez se flétrir. L’un ne sera pas retenu dans ces pâles demeures pendant que