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LIVRE V.

l’autre se réchauffera aux rayons amoureux du jour terrestre. »

Un éclair de joie illumina le visage de ceux qui s’aimaient dans les limbes ; la jeune fille reprit :

« Une seule chose m’attriste encore. Je ne sais comment nommer celui par qui je vis déjà avant le berceau.

— Appelle-le Abeilard, répondit le prophète.

— Et moi, de quel nom l’appellerai-je ? demanda l’esprit qui, jusque-là, avait gardé le silence.

— Appelle-la Héloïse. »

Quand les deux âmes amoureuses eurent entendu leurs noms, une joie infinie parut dans leurs regards. Il semblait qu’elles venaient de se rencontrer pour la première fois. Longtemps elles se répétèrent l’une à l’autre, avec ravissement, ces noms qui étaient pour elles une révélation anticipée de la vie attendue. Le doux chuchotement des deux esprits continuait encore lorsqu’une voix plus forte se fit entendre au loin, vers l’endroit où la plaine se change en une montagne hérissée de rochers.

Ils suivirent l’enchanteur jusqu’à l’entrée de la vallée ; mais voyant de loin une jeune fille qui s’avançait dans la campagne, tous deux s’arrêtèrent à la fois et le quittèrent en disant :

« Il ne nous est pas permis d’aller plus loin. Celle qui s’approche s’indignerait de nos désirs d’amour. »

À ces mots ils s’enfuirent.

Sans les avoir entendus, celle qui leur avait fait peur continuait de marcher en cueillant des bluets dans la