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LIVRE V.

j’ai tant aimée, c’est donc toi, âme sereine, qui lui feras son berceau ! Tu verras comme elle est douce et comme il est misérable celui qui ne l’a pas connue ! Mieux vaudrait pour lui demeurer à jamais enseveli dans ces limbes désolées où le soleil ne luit jamais. Ne t’attriste pas d’avance, âme préférée, si ton nom n’est pas celui qui retentira le plus haut dans la bouche des hommes. Ah ! si tu les foulais du pied, toi qui en as la force, comme ils te feraient fête ! Si tu mettais ton plaisir à les lier par troupeaux, à les charger de fers, comme ils encenseraient ta mémoire ! ils la porteraient jusqu’aux nues. Toutes leurs bouches seraient pleines d’hymnes pour toi. Si tu les écrasais, tu serais leur demi-dieu. Mais, pouvant les asservir, tu les respecteras, et ils n’auront pour toi qu’une moitié de louange.

— Pour qui donc réservent-ils leur amour et le comble de la gloire ? balbutia l’âme étonnée.

— Je te l’ai déjà dit : pour ceux qui les méprisent et qui sèment derrière eux la poussière d’où naissent les esclaves. Ceux-là ils les appellent Alexandre, César…

— Ne nomme pas le troisième, répondit l’âme libre. Je le connais déjà ; je sais comme son joug est pesant, dans ces lieux même, où toute chose est si légère. Dis-moi seulement ce que je désire le plus savoir. Quel sera mon pays, mon peuple ? Nomme-moi la terre qui doit me recevoir. Sous quel ciel verrai-je la lumière ? Comment l’appelles-tu ?

— La terre où tu verras pour la première fois le jour est encore inconnue au fond des mers. Elle n’a