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MERLIN L’ENCHANTEUR.

point aujourd’hui de nom dans la bouche des hommes. L’Éternel seul la connaît et la voit à travers l’Océan verdâtre. Mais déjà l’insecte travaille jour et nuit à y élever ses temples de corail. »

Pour la première fois, une sombre tristesse se répandit sur la figure impassible de celui qui devait être Washington ; il s’écria avec stupeur :

« Quoi ! la terre où je dois naître n’est pas sortie des flots ? Les hommes ne l’habitent point encore ? Ils n’y ont pas bâti de demeures ni fait entendre le bruit de leurs paroles ? Elle est donc la proie des vents, des tempêtes, peut-être des reptiles et des bêtes fauves ? Ou plutôt, sans doute, elle ne sera jamais ; et ma destinée est de flotter ici dans une éternelle attente, sans trouver où me reposer sur un rivage qui n’est lui-même qu’un songe. Tous les autres ont une patrie ; elle les attend d’avance. Tous ils sont sûrs, en voyant la lumière, de trouver le pays des ancêtres qui leur sourira dès le berceau. Moi seul ici je n’ai point d’ancêtres, ni de parents, ni de demeure préparée sur le rivage des vivants. Moi seul je ne trouverai pas d’argile pour me faire un corps mortel. »

À ces mots, l’âme d’airain courba la tête et elle commença à gémir.

Comme un maître gourmande et console en même temps l’enfant qui, par trop d’impatience, s’est blessé de ses mains, et qui se croit près de mourir en voyant pour la première fois couler son sang vermeil, de même le prophète répondit :