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MERLIN L’ENCHANTEUR.

pliquer ce qui s’était passé. Aussi bien toutes les paroles eussent été indigentes pour exprimer ce qu’il éprouvait. Un monde qui s’écroule, un vide qui se creuse jusque dans le fond des enfers, un chaos à la place du ciel, tout cela eût à peine indiqué ce qu’il aurait voulu dire. Le plus probable, c’est qu’il avait perdu le don de l’enchantement. Mais c’était alors la chose dont il se souciait le moins.

Que lui importe que le monde désabusé perde sa magie, qu’un voile terne et grisâtre s’étende sur la moitié de la terre, que toutes les roses se flétrissent à la fois ? Dans l’égoïsme de la douleur, il n’est occupé que de ce qu’il a perdu lui-même. Il cherche un regard qu’il ne rencontre plus, il retient son haleine pour écouter des pas légers dont le bruit n’arrive plus jusqu’à lui. Surtout il sent son cœur pesant comme une pierre dans sa poitrine, et il se tait.

Mais ce que mon héros ne dit pas, je dois le dire à sa place, dans l’intérêt de ceux qui cherchent l’enseignement de cette histoire. Ils ont vu dans ce chapitre qu’il est des paroles toutes brèves, ou plutôt des syllabes dont les suites sont irréparables. Ils apprendront ici à mourir cent fois plutôt que de les prononcer. Un peu plus loin ils verront qu’un dépit, une parole injuste, une brouillerie d’amants, une rancune, un grain d’ivraie dans le pur froment, peuvent avoir les conséquences les plus fâcheuses sur l’économie du monde.

Si mes héros n’eussent eu à démêler que de petits intérêts personnels, si leur vie ne se fût mêlée en rien à la