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MERLIN L’ENCHANTEUR.

pas encore goûté le cruel breuvage de la vie réelle ? Venez, entourez-moi, cachez-moi, ne me laissez plus sortir de cette enceinte bénie ! »

En approchant il fut étonné de rencontrer, au lieu des hôtes accoutumés, un paysan demi-vêtu de son sayon, qui était venu dès le matin faire sa provision de bois à la dérobée, de crainte des forestiers.

C’était un vilain du hameau des Ripes. Grand de taille ou plutôt gigantesque, les cheveux mal peignés, tombant sur les épaules, coupés ras sur le front, l’air cyclope, humain pourtant, l’œil bleuâtre, écarquillé, le nez en bec d’oiseau, un peu grêlé, il marchait pesamment ; car, outre qu’il portait des sabots, la fièvre froide l’avait tenu toute cette année-là ; il en avait la rate encore un peu gonflée.

« Ton nom ? lui dit Merlin.

— Jacques Bonhomme Populus, répond le rustre. Pour moi, je vous connais : vous êtes Merlin l’enchanteur. »

Sans faire attention à la réponse, Merlin reprend :

« Puisque tu habites cette forêt, conduis-moi auprès des êtres merveilleux qui y font leurs demeures. Où sont-ils ? Je n’ai pu les rencontrer ce matin.

— De qui voulez-vous parler ? Personne autre que moi n’a jamais habité cette forêt. »

Merlin expliqua à Jacques qu’il s’agissait de personnages vêtus de pourpre et d’or, qui ne buvaient, ni ne mangeaient, et restaient dans une continuelle attente. Jacques Bonhomme, déjà ébranlé par ces paroles (car nul