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LIVRE VIII.

tière. À ce moment il s’arrêta sous la poterne de Calais, et jetant un long regard autour de lui :

« Adieu, France l’honorée ! dit-il en soupirant. Que de fois tu t’entr’ouvriras, comme la glace brillante sous les pas de celui qui se confiera à ton éclat ! Mes yeux te reverront-ils jamais ? Cette porte verrouillée se rouvrira-t-elle pour moi ? À cette pensée mon âme se trouble, comme si je descendais au fond de la mer d’angoisse. Et pourtant, mieux vaut encore ne pas te voir qu’assister à tes maux, sans pouvoir les guérir. Que de fois j’ai usé pour toi les forces de mon cœur et presque toujours vainement ! ta plaie est si grande ! C’est mourir que d’y penser. Je vais chercher au loin le simple pour guérir tes blessures. Fais-moi d’avance un tombeau sous une pierre qui parle, et mets-le dans les lieux réservés aux sauveurs à venir. »

Cependant il s’informa des matelots quel temps il faisait et si le vent soufflait du nord. La mer était paisible ; pas une ride ne l’effleurait quoiqu’un ciel de plomb pesât partout sur elle. Des barques rasaient les eaux tranquilles et la tempête était dans la nue. À la vue de ce contraste singulier, il dit encore au moment de s’embarquer :

« Toi aussi, quand l’iniquité s’amasse sur ta tête, reste calme et serein. Que des pensées ailées surgissent à l’improviste de ton esprit, blanches comme la voile qui émerge, en ce moment, du puits amer de l’Océan. »

Cela dit, il partit, le cœur un peu moins lourd.