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LIVRE VIII.

« Ah ! j’ai presque oublié parmi eux le doux son de la voix humaine.

« Voyez-les passer muets, les dents serrées parmi les autres peuples. Qui a reçu d’eux un salut, un adieu ? Qui a vu jamais leurs regards vitreux s’épanouir sur le faible ? Qui a senti l’étreinte de leur main ?

« Où vont-ils, étrangers parmi les hommes ? Que viennent-ils faire au doux foyer de ceux qui les abritent ? La pluie, le gel, le vent, la bise sont moins impitoyables à la plainte de celui qui succombe sous la loi du plus fort.

« Vierge du bois chenu, reconnais tes bourreaux. Ils te lieront sur le bûcher et le bûcher brûlera pendant cinq siècles. Quand il s’éteindra, ce sont eux, les rouges Saxons, qui le rallumeront de leur souffle maudit. »


Pendant que Merlin parlait ainsi dans l’orage et que son navire rasait la côte, les habitants le suivaient des yeux du haut de la falaise ; quelques-uns disaient : « Que parle-t-il de justice ? C’est pour nous seulement qu’elle est faite. »

Ils essayèrent de le lapider ; mais la mer elle-même rit de leur impuissance.

Cependant ils allaient lécher à genoux les mains d’Hengist le Païen qui ruisselaient du carnage des bardes ; ils rampaient sous son char, l’œil pieux, à mains jointes, ils adoraient le meurtrier.

Et ils s’engraissaient de la chair des taureaux ; leurs