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MERLIN L’ENCHANTEUR.

vous en douter ? À peine l’empereur, qui allait prendre possession de l’Italie et se faire couronner à Rome, apprit que mon héros était dans un des faubourgs de Vérone, il lui dépêcha son globe d’or, son épée, son baudrier, sa hache, sa main de justice et sa couronne de plomb, à la charge d’avoir à les enchanter et ensorceler, sur-le-champ, sans demeurée. Telle fut la formule déjà gothique dont se servit le seigneur tudesque.

Accoutumé à voir tout plier devant lui par delà les monts, il ne mettait pas en doute que notre enchanteur ne se hâtât de lui complaire. Naturellement il attachait à ce sacre populaire qui lui répondait de l’amour des peuples d’Italie, cent fois plus d’importance qu’à la cérémonie de Rome.

Jugez, lecteurs, de sa fureur, de sa stupeur, quand ses messagers lui apprirent que Merlin avait prêté très-peu d’attention à eux et à leur globe ; qu’en outre il avait obstinément refusé d’attacher à la couronne tudesque le moindre charme, le plus misérable enchantement.

À cette nouvelle, l’empereur se sentit ébranlé. Néanmoins, il fit bonne contenance, à cause des Rhingraves qui l’entouraient. Suivi des plus considérables, il se rendit à pied, tête nue, sans appareil, dans le modeste réduit où notre enchanteur était descendu. Il le trouva mangeant des figues. Merlin, quoique toujours si poli, se contenta de le saluer à peine d’un signe de tête.

Terrible échec pour l’orgueil d’un souverain habitué à tenir l’Italie sous ses pieds ! S’il dévora cet affront,