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LIVRE X.

hommes : tu les patronnes ; pourrais-tu t’en défendre ? Chancelants, tu les soutiens ; tombés, tu les relèves ; gueusants, tu les rhabilles ; damnés, tu prétends les sauver. Quel noble emploi pour un fils de l’enfer ! Tu leur donnes le goût de la lumière et du bon sens. Es-tu fou, Merlin ? Non, tu n’es qu’un fils dénaturé. C’est par haine de tes parents que tu nous traverses en toutes choses. Tu fais état de me désespérer, et ton projet, je le vois, est de me faire mourir de chagrin. Aussi bien, je suis dégoûté de vivre depuis ces derniers temps ; ce coup fourré qui m’est porté par toi, par toi, mon sang, ma chair, mon tout, m’est vraiment trop sensible. Je n’y résisterai pas. »

Ici le diable éclata en sanglots, mais il lui fut impossible de pleurer. Il cacha ses yeux de ses deux mains crispées et fit semblant d’essuyer ses larmes.

« Vous pleurez ? dit Merlin.

— Tu le vois ! tu m’arraches mon dernier pleur. Aïe ! aïe ! qu’il est cruel pour un père de se savoir renié par l’enfant de sa prédilection ! Sans doute, dans quelque vie précédente, j’ai mérité ce châtiment. Je l’accepte à mon dam ! mais il est au-dessus de mes forces. »

Chose incroyable ! Merlin fut ébranlé par le désespoir de l’incube, qui avait commencé par jouer avec les larmes, et qui avait fini par des cris suffoqués, au point de hurler. Voir pleurer le roi de l’enfer est un spectacle si nouveau, que le bon Merlin éclata à son tour. Je ne sais quelle voix du sang lui parlait encore, car il entre-