Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
350
MERLIN L’ENCHANTEUR.

prit sérieusement de consoler le monarque de l’abîme, qu’il voyait alors si caressant et si humble.

Cette ingénuité de Merlin fut mise aussitôt à profit par l’incube.

« Ô mon petit Merlin, reprit-il d’une voix brisée, que je t’ai aimé, que je t’aime encore ! car tu es le portrait fidèle de ta mère Séraphine. Que de fois, en Bretagne et en Bresse, sur le seuil de sa porte, je t’ai fait sauter sur mes genoux ! T’en souviens-tu, petit ? Ce jour, par exemple, où tu jouais aux osselets et où je t’appris à tricher ! comme cela t’amusait ! et que tu promettais alors d’égaler ton vieux père ! Et cet autre jour plus ancien, où je t’appris à mordre le sein de ta nourrice, en riant, t’en souviens-tu ?

— J’en ai un vague souvenir, murmura Merlin.

— Eh bien, s’il est ainsi, mon fils, tu ne voudras pas crucifier ton père. Vois, mon ami, je le parle avec douceur, quand je pourrais rugir. De bonne foi, dans quel désordre es-tu tombé ? N’est-il pas bien séant, pour le roi légitime des abîmes, de rencontrer son propre fils errant à pied dans la compagnie d’un ermite et d’un ribleur ? Tel que je te vois, tu pourrais, cependant, me faire encore honneur à mes côtés.

— Mon sort me plaît, car je le fais moi-même. Je vis libre : c’est le premier des points.

— Ton sort ! je te conseille, l’ami, de t’en vanter. Qu’est-ce que ces ridicules prodiges où n’entre pas la moindre diablerie ? Qu’est-ce que cette prétention nouvelle de se passer de baguettes et de mettre l’âme par-