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MERLIN L’ENCHANTEUR.

— Tout beau, Merlin ! Ramener l’Éden ! Oh ! regarde, ce mot seul m’a fait blanchir les cheveux. Cher fils, fruit de mes entrailles, par tout ce qu’il y a de plus puissant au monde, par le pied bot de ton père, par la chaudière ardente, par le soufre de Gomorrhe, par le premier des vices, par le premier des faux serments, par le premier des meurtres, écoute la voix paternelle qui ne t’a jamais trompé. Sois enfin positif ; cherche en tout le solide ; ta jeunesse se passe ou est passée pendant que nous parlons. Laisse les illusions aux esprits de travers. Congédie les songes niais ; or sus ! revêts la robe virile des forts. Tu manques de monde, mon cher ; c’est là une question de convenance et de bon goût. Ne peux-tu donc te débourgeoiser ? Un peu de souplesse, sinon tu te perdras et nous avec toi… Prends-y garde aussi, c’est du dévouement que je te demande pour tes cousins, tes neveux. Il est si aisé de faire l’homme de bien, le Romain, aux dépens de sa propre famille !

— Je serais inconséquent.

— Qu’est-ce à dire ? L’espèce humaine, qu’est-ce autre chose qu’une inconséquence ? La tête dans la nue et les pieds dans la boue. Elle plane comme l’épervier, mais elle rampe mieux encore comme la limace ; elle a les yeux du lynx pour compter les étoiles filantes, et, pour le reste, plus aveugle que la taupe. Va ! tout ce qu’il y a d’inconséquence, de non-sens, partagé entre tous les êtres, se trouve rassemblé dans ce chef-d’œuvre que l’on appelle l’homme.