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MERLIN L’ENCHANTEUR.

de la justice ; ils ne verront pas son soleil, aveugles, ils entreront dans un univers aveugle.

« Mais moi, au bord des sources, sans eux, sans vous, moi seul, je déploierai la tente d’azur où viendra s’asseoir le bon, le sage, le droiturier, l’irréprochable Arthus. »

Quand le tonnerre gronde dans les forêts sonores, les grands chênes ont peur. Tremblants dans chaque feuille, ils chuchotent avec le brin d’herbe et la pâle bruyère perdus à leurs pieds ; quand Merlin eut parlé les rois s’abaissèrent vers les peuples, les grands vers les petits ; tous chuchotaient entre eux. Il acheva de les confondre par ces mots :

« Si la puissance des charmes est dans mon âme, si j’ai cueilli jamais le gui sur le chêne et puisé la rosée de France dans le bassin d’or, si le Christ est de la famille des enchanteurs, j’ordonne que ceux-ci restent enfermés dans ce cercle invisible. »

Et de sa main, il traça dans l’air un cercle sur l’assemblée des juges, des docteurs et des devins. Leurs têtes s’inclinèrent malgré eux sous le joug de Merlin, comme des taureaux de la Sabine, qui subissent et repoussent le joug du laboureur. Ils se sentaient emprisonnés dans un cercle magique ; depuis cette heure, nul d’entre eux n’est sorti de l’enceinte invisible où ils sont captifs sans voir même la barrière. Leur immobilité devint si profonde, que vous les eussiez crus pétrifiés, si leurs lèvres n’eussent continué à murmurer des discours qu’ils ne comprenaient plus. Les paroles qui