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MERLIN L’ENCHANTEUR.

ou de païen qu’il vous faut aujourd’hui. C’est de la chair chrétienne. »

Ils s’apprêtaient à fondre sur la ville muette. Merlin en eut pitié, il leur cria :

« Oiseaux de proie, que cherchez-vous ?

— Le cadavre d’un dieu.

— Il est trop tôt, répliqua le prophète. Quand il y aura un vieux monde à dévorer, n’ayez peur. C’est moi qui vous ferai votre pâture. Je vous la distribuerai en parts égales ; jusque-là retournez dans vos aires. »

Et ils se retirèrent, confus, remplissant l’air de leurs glapissements, jusque par delà les Apennins.

Alors Merlin, se tournant vers les légions innombrables d’esprits qui de tant de mondes différents étaient accourus à sa défense, les remplit d’étonnement en leur apprenant qu’il ne les avait point évoqués, qu’il n’avait nul besoin de leur appui, que lui, lui seul, prétendait faire tête à la ville et au monde. D’un geste, il les congédia.

Tous s’enfuirent par les mille chemins tortueux qu’ils avaient pris pour sortir de leurs retraites. À peine si quelque gnome frileux du Nord, soudainement épris du soleil d’Italie, resta caché sous l’arc de Titus.

Qui les avait évoqués ? Peut-être fût-ce la patronne des bardes, Viviane. Plusieurs la rencontrèrent et la prirent pour une moissonneuse de la Sabine. Traînée sur un char attelé de bœufs, au milieu de gerbes de blé, elle précédait et protégeait son barde. Elle le voyait sans être vue, car elle avait la tête couronnée