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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« C’est le secret des dieux barbares.

— Encore un peu de temps, reprit Jupiter, et ils auront vécu ; les hommes nous regretteront, Merlin. »

Et voyant un signe d’incrédulité sur le visage de notre héros :

— « Oui, seigneur Merlin, poursuivit-il, encore un peu de temps ; ils regretteront notre ciel d’Hellénie. Ils se souviendront de la sécurité perdue ; car nous étions indulgents pour les hommes. Nous leur faisions la vie légère dans un éternel azur. Et pour cela, que demandions-nous ? un peu de fumée. Était-ce trop pour payer nos bienfaits ? Par tout ce que vous nous apprenez, ils sont plongés aujourd’hui dans la nuit pluvieuse. Vivant de ténèbres, ils les aiment. Mais, par ce sceptre, ils en sortiront et remonteront vers l’Olympe.

— Je l’ai cru quelque temps, répondit Merlin ; aujourd’hui, je ne l’espère plus, car je les vois fort capables de se faire dieux eux-mêmes. Résignez-vous, grands dieux, à une condition qui pour être modeste, n’est que plus sûre et plus tranquille. Jouissez de ce qui vous reste. On vous a laissé l’immortalité. Est-ce donc si peu de chose ? Prenez plaisir à votre obscurité ; c’est, croyez-moi, le premier des biens. Oubliez que vous avez régné sur cet inconstant univers. Qu’il vous suffise de régner ici sur le chœur retentissant des cigales, musiciennes sacrées. Au lieu des cieux immenses, contentez-vous des plus humbles réduits. On y peut être fort utile. Aidez aux esclaves, aux serviteurs, dans les cabanes, à traire les vaches, battre le lait dans la nuit, rafraîchir la li-