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LIVRE II.

échafaudages, émergeaient confusément d’un océan de brume, ainsi que dans un port on voit une foule de mâts de vaisseaux, de frégates, de corvettes, de caravelles, de brigantines, s’élever, en gémissant, du golfe endormi, Merlin prenait la plus grande joie du monde à se promener hors de la ville naissante. Son esprit planait sur ce chaos social. Une grande foule ébahie ne manquait pas de le suivre à travers la campagne qui était alors en friche.

Comme il était toujours suspendu aux paroles et aux sourires de Viviane, il marchait d’un pas fantasque, à l’aventure. Viviane venait-elle à s’arrêter ? il dressait là une pierre en forme de borne, sur laquelle elle s’asseyait et reprenait haleine. D’autres fois, il tirait de la poche de son pourpoint un petit couteau d’or, à manche de nacre, et d’un air distrait il faisait une large écorchure dans le sol.

« Que faites-vous ? sage Merlin, » lui demanda un des hommes qui le suivaient. Il répondit :

« Je partage les champs. Je vous les donne. Voilà autant d’héritages que j’ai entamé de fois la terre avec le poignard de Viviane. Partout où elle a voulu s’asseoir, j’ai posé une borne. Heureux l’endroit que ses pieds ont touché ! Respectez-le ! »

Il désigna alors à chacun de ceux qui le suivaient la part qui lui avait été faite. Mais le plus grand nombre se récria.

« Pourquoi, disaient-ils, avoir fait les portions si inégales ? »